PROPHÈTES D’ISRAËL

PROPHÈTES D’ISRAËL
PROPHÈTES D’ISRAËL

Les prophètes d’Israël occupent une place importante dans l’Ancien Testament et ont fait l’objet de commentaires nombreux et variés. Pour la tradition juive, ils continuèrent l’œuvre de Moïse et furent ses fidèles interprètes; pour l’Église chrétienne, ils ont prédit la venue du Christ et annoncé notamment ses souffrances (Is., LIII) et son règne glorieux (Is., IX et XI); au début du XXe siècle, des critiques ont vu en eux avant tout des prédicateurs intervenant dans les affaires publiques de leur temps, ils ont souligné cependant la modernité de leurs préoccupations éthiques. Les spécialistes sont aujourd’hui encore loin d’être unanimes sur les divers problèmes posés à ce sujet: traits caractéristiques de ces prophètes; formes et contenu de leurs oracles; origine et finalité du mouvement prophétique en Israël; histoire du prophétisme biblique.

Situation du prophétisme en Israël

Grâce au développement récent de sciences telles que l’histoire des religions, la psychologie, l’orientalisme, le prophétisme israélite est sorti de son isolement et n’apparaît plus comme un phénomène unique en son genre.

Les prophètes d’Israël appartiennent à la famille des «porteurs de parole» (G. Van der Leeuw) qu’on rencontre aussi dans l’ancien Proche-Orient, en Grèce, en Asie centrale. Ils se distinguent des autres inspirés divins moins par leur comportement ou par la forme de leurs oracles que par le contenu de leur message. Celui-ci est déterminé par le fait que les prophètes hébreux parlent au nom d’un Dieu particulier, Yahvé, à un peuple particulier, Israël; la spécificité du prophétisme israélite repose sur le caractère propre des relations entre Yahvé et Israël telles qu’elles ont été vécues au cours de l’histoire.

Le prophétisme en Israël a un passé lointain, puisqu’il remonte vraisemblablement à l’époque nomade; il a ressemblé sans doute pendant longtemps à certaines formes du prophétisme attestées en Mésopotamie (lettres de Mari, XVIIIe s.) et en Syro-Phénicie (témoignage de Wen-Amon, XIIe s.) avant de connaître un épanouissement prodigieux entre le VIIIe et le VIe siècle, avec ceux qu’on a appelés à tort les «prophètes écrivains» (les prophètes de cette époque ont été plutôt des orateurs, et ce sont en général leurs disciples qui ont mis leurs oracles par écrit), c’est-à-dire Amos, Osée, Isaïe, au temps de l’expansion assyrienne (VIIIe s.); Jérémie, Ézéchiel, le Second Isaïe, sous l’occupation babylonienne (VIe s.). Après l’exil et pendant la période perse, l’importance du prophète décline au profit du prêtre et du scribe, alors que, sous les Grecs et sous les Romains, le prophétisme reprend vie dans le cadre de l’apocalyptique (dès le IIe s. av. J.-C.).

On peut noter enfin que les avis des spécialistes divergent sur le rôle joué par les prophètes au temps des Assyro-Babyloniens. On a fait d’eux des conservateurs, des réformateurs, voire des révolutionnaires. Certains estiment qu’ils ont occupé une fonction officielle dans le cadre du yahvisme traditionnel; d’autres voient dans leur intervention un événement absolument imprévisible et soulignent qu’ils se sont violemment heurtés aux autorités établies d’Israël et de Juda. Pour les uns, ils sont venus à la rescousse d’un clergé défaillant; pour les autres, ils ont prêché un monothéisme moral jusque-là inédit dans le Proche-Orient ancien. En fait, les prophètes ne se sont pas réclamés directement de Moïse; ils n’ont pas davantage voulu innover; ils se sont compris comme les envoyés de Yahvé auprès de leur peuple; ils n’ont cherché ni à sauvegarder, ni à bouleverser à tout prix la tradition religieuse d’Israël; ils se sont sentis libres à son égard dans la mesure où ils se savaient liés à Yahvé, car de lui seul ils tenaient leur mission, et de sa seule gloire ils avaient à rendre compte.

La psychologie des prophètes

Les prophètes d’Israël lient leur vocation à une intervention de Yahvé: ils ont vu le Dieu d’Israël (Is., VI; Ézéch., I), sa main les a saisis (Am., VII), l’Esprit les conduit (Ézéch., II-III; XXXVII). Poussés par une force qui les domine, ils accomplissent des actes étranges: Osée doit épouser une prostituée (Os., I-III), Isaïe se promener nu, c’est-à-dire en tenue d’esclave, dans les rues de Jérusalem (Is., XX), Jérémie porter un joug (Jér., XXVIII), Ézéchiel manger des excréments (Ézéch., IV). On s’est interrogé à ce propos sur la psychologie des prophètes et on a parlé d’extases, d’hallucinations, de «pathos»; on a évoqué les particularités de la mentalité primitive ou fait appel aux mystiques. En fait, il n’existe pas une psychologie prophétique unique, chaque prophète a son tempérament propre. Il suffit de comparer la sobriété d’Amos à la sensibilité de Jérémie, la noblesse d’Isaïe aux bizarreries d’Ézéchiel pour s’en convaincre. Ce qui fait un prophète, ce n’est pas une prédisposition psychique, mais l’action de Yahvé, bien que celle-ci sache se servir du caractère et même du subconscient de ses porte-parole.

Les oracles des prophètes

Les prophètes ont agi par leurs paroles et par leurs gestes symboliques (fréquents chez Jérémie et Ézéchiel), d’autant plus efficaces qu’ils étaient commandés par Yahvé. Ils ont été en premier lieu des orateurs, dont les déclarations devraient être entendues plutôt que lues; ce n’est que peu à peu et poussés par la nécessité (Jér., XXXVI), qu’ils se sont mis, eux ou leurs disciples (par exemple Baruch pour Jérémie), à écrire leurs oracles. Diverses collections de «prophéties» ont été ainsi constituées, puis remaniées et complétées pour former les livres prophétiques dans leur présentation actuelle; certains d’entre eux ont une histoire longue et complexe, comme l’atteste le livre d’Isaïe.

Pour communiquer à leur peuple la parole de Yahvé, les prophètes n’ont pas usé d’un langage sacré; ils ont emprunté aux traditions d’Israël, et notamment au monde juridique, cultuel ou sapiental, les diverses formules qu’ils ont utilisées. Leurs oracles, souvent introduits par «Ainsi parle le Seigneur...» (style du messager de cour), sont soit des réquisitions ou des menaces (Is., I et V; Am., V et VI), soit des exhortations (Am., IV-V; Jér., IV), soit des enseignements (Is., I; Os., VI). On trouve également chez eux des paraboles (Is., V), des élégies (Am., V; Is., XIV), des liturgies (Is., LXIII-LXIV), des prédications à la manière deutéronomiste (Jér., VII), des poèmes allégoriques (Ézéch., XV et XIX) et, à travers tout le livre du Second Isaïe (Is., XL-LV), des hymnes, des disputes, des «oracles sacerdotaux de salut». Bref, le message prophétique se caractérise par une variété de formes qui révèle combien les prophètes connaissaient la vie profane et religieuse de leur temps.

Le milieu

Le fait que l’Ancien Testament emploie divers termes pour nommer les porte-parole de Yahvé: prophète, voyant, visionnaire (notons le lien que le texte biblique établit entre la vision et la parole) et homme de Dieu, indique qu’à l’origine ces mots désignaient des activités différentes. On distingue parfois en effet le «voyant» de l’époque nomade, qui agit en général de façon isolée et autonome et dont on connaît l’équivalent dans le monde arabe, des «prophètes» proprement dits (appellation que les prophètes de l’époque classique semblent éviter comme s’ils ne voulaient pas de confusion entre eux et ces «prophètes»), qui vivent habituellement en groupe et se manifestent de façon désordonnée, comme les inspirés de Syro-Phénicie ou d’Asie Mineure (cf. aussi I Sam., X; I Rois, XVIII). De toute façon, ces expressions ont fini par être pratiquement synonymes (I Sam., IX).

Pour l’historien des religions, le prophète fait partie, avec le roi, le sorcier ou le prêtre, de ceux qui ont reçu le «mana», c’est-à-dire la puissance (G. Van der Leeuw) et dont le rôle est parfois interchangeable (Samuel a été à la fois sacrificateur, conducteur et prophète de son peuple avant l’établissement de la royauté en Israël); certains traits de son activité l’apparentent aux devins, aux magiciens, aux derviches, aux chamanes, etc. L’Ancien Testament lui-même admet l’existence d’un prophétisme non israélite (Nombres, XXII-XXIV : Balaam; I Rois, XVIII: les prophètes de Baal), ce que confirme l’étude du Proche-Orient ancien. Depuis longtemps, les spécialistes connaissent les prophètes exaltés d’Asie Mineure ou de Syro-Phénicie et, si la question d’un prophétisme égyptien reste ouverte, les récentes découvertes de Mari, en Mésopotamie, leur ont permis d’attester la présence, au XVIIIe siècle, d’inspirés divins dont l’activité politique et religieuse à la cour présente des analogies avec les interventions de Nathan auprès de David ou d’Isaïe envers Ézéchias. Enfin, les pratiques des devins chez les Arabes nomades rappellent celles des voyants d’Israël, si bien que le prophétisme hébreu apparaît aujourd’hui comme profondément intégré dans un mouvement plus large qui s’est développé notamment chez les Sémites.

Le prophétisme classique

La tradition biblique accorde à Abraham (Gen., XX) et à Moïse (Os., XII; Deut., XVIII) le titre de prophète (pour la théologie judéo-chrétienne, ils inaugurent la successio prophetica ) et rappelle ainsi le lien qui existe entre le mouvement prophétique et la période qui a précédé l’entrée du peuple de Yahvé en Canaan. Mais c’est sur sa terre qu’Israël verra se développer le prophétisme, d’abord avec Nathan à l’époque de David, au XIe siècle (II Sam., VII et XII), et surtout avec Élie, au temps d’Achab, au IXe siècle (I Rois, XVII à II Rois, II). Ce dernier brave le pouvoir et défend à peu près seul les droits du yahvisme en Israël; sa figure quasi légendaire impressionnera les générations suivantes, lesquelles feront de lui le prophète par excellence qui doit revenir à la fin des temps (Malachie, III).

À partir du VIIIe siècle, le prophétisme biblique atteint son apogée: Yahvé adresse à son peuple, qui court au-devant de la catastrophe, une série de messagers qui ont chacun leurs antécédents, leur style, leur personnalité, mais qui visent tous à replacer Israël devant sa présence immédiate.

Amos est le plus ancien des «prophètes écrivains»: originaire de la campagne, au sud de Jérusalem, il intervient dans le royaume du Nord, dirigé par Jéroboam II, dans la première moitié du VIIIe siècle. Le pays connaît à cette époque un temps particulièrement faste, surtout sur le plan politique et économique, mais la prospérité du royaume de Samarie conduit certaines grandes familles du pays à abuser de leurs privilèges au détriment du petit peuple. Amos stigmatise en termes cinglants les comptes frauduleux, les affaires louches, les jugements iniques; il prend le parti des pauvres au nom de Yahvé et condamne l’appétit des riches, la mollesse du clergé, un culte abondant, mais hypocrite (Am., IV-VII). Rejetant les idées reçues par ses contemporains, il dénonce les illusions d’une nation qui se croit élue par Yahvé et attend son heure de gloire (Am., III et V). Il annonce les ténèbres, il dit la fin d’Israël et entonne déjà l’élégie à son sujet (Am., V et VIII). Une atmosphère de mort se dégage de ses oracles brefs et incisifs: le «jour de Yahvé» est imminent, il apporte la panique et la ruine, parce qu’Israël n’a pas entendu la plainte de la veuve et de l’orphelin et a piétiné le droit des petits. Amos est pour tous les temps le témoin de la justice divine, car il n’a pas hésité à proclamer: périsse le peuple de Yahvé plutôt que le droit des «pauvres de Yahvé».

Osée, un peu plus tard mais également dans le royaume du Nord, se heurte à un autre problème, bien qu’il ait aussi réprouvé la corruption sociale de son époque (Os., IV). En s’installant en Canaan, les Israélites ont découvert les divinités du pays, les Baals et les Astartés, dont les Cananéens attendent la fertilité et la fécondité. Peu à peu, un partage s’est opéré dans la mentalité religieuse du peuple de Dieu entre Yahvé, le Dieu des pères, et les Baals; le premier a sans doute arraché les Hébreux à l’esclavage d’Égypte, mais il séjourne au désert, alors que les seconds vivent dans le pays où leur bienveillance est quotidiennement nécessaire. Osée combat énergiquement ce syncrétisme qui menace la foi yahviste; pour lui, il ne saurait y avoir de compromis entre Yahvé et les Baals: Israël doit tout à celui-là et rien aux autres, dans le présent et l’avenir comme dans le passé. À la différence des Récabites (Jér., XXXV), qui adoptent une attitude réactionnaire et refusent de reconnaître le fait qu’Israël ne vit plus dans le désert, mais en Terre promise, Osée propose une solution originale et audacieuse, qu’il a peut-être découverte dans l’histoire étrange et tumultueuse de son mariage (Os., I-III). Osée revendique pour Yahvé les pouvoirs que les Cananéens reconnaissaient aux Baals: le Dieu d’Israël lui-même accorde le pain, le lin et le vin dont son peuple a besoin, il est maître du sol cananéen, et lui seul dispose de la vie (Os., II). Plus que tout autre prophète, Osée a chanté l’amour divin, il a dit et redit la passion que Yahvé éprouve pour Israël, sa tendresse, sa patience, sa fidélité. À travers sa propre existence, il a souvent médité sur l’histoire de l’alliance entre Yahvé et Israël: les fiançailles, l’adultère, la rupture, le châtiment, mais le dernier mot de Yahvé est une parole de pardon et de vie (Os., II et XI). Israël a un avenir devant lui, parce que Yahvé continue de l’aimer, comme Osée reprend sa femme infidèle. Osée a laissé à la postérité cette méditation sur l’histoire conjugale de Dieu avec son peuple; elle sera reprise par Jérémie et Ézéchiel; elle éclairera l’interprétation des théologiens juifs et chrétiens du Cantique des cantiques; Paul s’y référera également (Éph., V).

Isaïe est un Judéen, profondément attaché à Jérusalem, sa cité. Au VIIIe siècle, sous les règnes d’Achaz et d’Ézéchias, il frappe par la dignité de son attitude et la noblesse de son style qui rendent hommage au Dieu dont il a contemplé la gloire au temple de Jérusalem (Is., VI). Comme Amos, il dénonce les accapareurs et les jouisseurs, condamne les pratiques religieuses qui servent à masquer des infamies, annonce l’humiliation des grands et la colère de Yahvé (Is., I-III). Il s’est particulièrement intéressé aux problèmes posés par la situation internationale de son temps, et sa politique s’est heurtée à celle des membres de la cour. Pour lui, en effet, le salut de Juda ne peut venir ni de l’Assyrie ni de l’Égypte, mais de Yahvé qui a choisi Jérusalem et s’est lié à la maison de David (Is., VII-VIII ; XVIII ; XXX et suiv.). Les sages se moquent de ses appels et Juda ne croit pas à l’appui de son Dieu; aussi Isaïe annonce-t-il des heures sombres pour le pays, mais il sait qu’«un reste» survivra à la catastrophe et il espère une régénération de la dynastie davidique (Is., VII; IX ; XI). Isaïe reste le témoin de la sainteté du Dieu d’Israël qui, de Sion, commande à l’histoire et au monde.

Jérémie assiste à l’agonie du royaume de Juda. Nature sensible et peu faite pour l’activité publique, il doit avertir son peuple du jugement qui ne tardera pas à le frapper. Il commence son activité à la fin du VIIe siècle et la poursuit au-delà de la chute de Jérusalem (587). Il a connu sans doute le règne de Josias; il s’est fait de Yoyakim un ennemi redoutable, et sa vie a été souvent en danger (Jér., VII ; XIX ; XXXVI). Jérusalem attend un impossible miracle, et Jérémie doit proclamer que les Babyloniens sont les serviteurs de Yahvé! On le raille, on le fouette, on l’enferme, l’ennemi le délivrera (Jér., XXXIX et suiv.). Le dernier roi de Juda, Sédécias, vient secrètement le consulter, mais il n’ose suivre ses conseils. Jérémie s’est trouvé constamment à contre-courant de l’histoire: quand les Judéens croyaient Jérusalem inexpugnable, il a annoncé sa prise à ses risques et périls, et, alors que tout semblait perdu, il ose proclamer que Yahvé conclura une nouvelle alliance avec son peuple (Jér., XXXI). Jérémie a aussi transmis aux générations futures ses dialogues avec Dieu, ses prières, où il exprime sa foi et ses doutes, sa lassitude et son attente; il nous fait ainsi pénétrer dans le mystère de la conscience prophétique.

Ézéchiel, presque le contemporain de Jérémie, a connu l’exil dès 597. C’est un personnage dont le message déroute autant que le comportement. Il a des visions extraordinaires, des périodes de mutisme ou de paralysie, il accomplit des gestes bizarres (Ézéch., I ; III et suiv.; XXXVII). Sa personnalité a intéressé les psychiatres, mais il n’en reste pas moins un authentique témoin de Yahvé à une des époques les plus douloureuses de l’histoire d’Israël. Il vit en quelque sorte la mort de son peuple, qu’il a prédite avec obstination parce que les Jérusalémites se refusaient à l’entendre (Ézéch., IV-XXIV), et il promet la résurrection du peuple à un moment où le sort de sa nation paraît joué (Ézéch., XXXVI-XXXVII). Dans la première partie de son ministère, Ézéchiel s’étend longuement sur le jugement qui va inévitablement frapper un peuple rebelle et cherche à justifier la décision divine (Ézéch., VIII ; XVI ; XX); après le désastre, il proclame avec la même fermeté le renouveau d’Israël, qui ne dépend pas des mérites des rescapés, mais de la fidélité de Yahvé à l’égard de son Nom, c’est-à-dire de son œuvre. Il faut que le peuple et les nations sachent que Yahvé est le Seigneur, tel est le leitmotiv des déclarations du prophète; tout doit concourir à la gloire du Dieu d’Israël: la punition des coupables et la rénovation du peuple qui porte le nom de Dieu. On a rapproché, à ce propos, Ézéchiel d’Augustin et de Calvin. Mais cet homme est aussi un prêtre, et il envisage sérieusement la reconstitution de l’État jérusalémite (Ézéch., XL-XLVIII), il dit aussi l’importance du comportement individuel à l’heure de la crise: chacun sera jugé sur ses œuvres (Ézéch., XVIII ; XXXIII); il prépare ainsi la voie au judaïsme.

Le Second Isaïe est l’annonciateur du salut d’Israël. Son activité se déroule parmi les exilés, alors que Cyrus menace déjà Babylone (Is., XL-LV). Il dépeint à ses frères leur proche retour sous la forme d’un nouvel et merveilleux exode, mais ses paroles n’ont aucun écho. Ses auditeurs doutent que Yahvé veuille et puisse encore intervenir en leur faveur; c’est pourquoi le prophète argumente, dispute, évoque le déroulement de l’histoire et la création de l’univers, et rappelle la fidélité de Yahvé envers Abraham et sa descendance; car il faut qu’Israël croie à sa libération. Parmi les oracles du Deutéro-Isaïe, on distingue quatre cantiques qui parlent d’un mystérieux «serviteur de Yahvé», souffrant pour le salut d’une multitude d’hommes et dont l’œuvre rayonne jusqu’aux extrémités du monde (Is., XLII ; LIII). La tradition chrétienne a vu dans ces oracles une prophétie de la destinée du Christ.

Après l’exil, les prophètes jouent un rôle secondaire; ce sont des épigones, comme Aggée, Zacharie et Malachie, qui sont soucieux de réorganiser la vie de la communauté jérusalémite autour du Temple. Mais le prophétisme se transforme, sous l’influence de la tradition sapientiale; et, aux époques de crise, au temps des Séleucides et de l’occupation romaine, il s’exprime avec une vigueur nouvelle dans l’apocalyptique (voir le livre de Daniel, précédé de textes comme Joël, I-IV ou Isaïe, XXIV-XXVII, et suivi du Livre d’Hénoch , des Testaments des douze patriarches , du IVe Livre d’Esdras , etc.).

Les prophètes et la tradition

Il n’est pas aisé de situer le phénomène prophétique dans le cadre des institutions israélites; la question est vivement débattue entre les spécialistes. En effet, les prophètes, d’un côté, prennent nettement leur distance par rapport aux idées et aux coutumes de leur temps et ne craignent pas d’attaquer violemment leurs autorités civiles et spirituelles; mais, de l’autre, ils interviennent constamment à la cour et dans les sanctuaires avec des formules juridiques et liturgiques en usage dans le pays. Ils paraissent parfois avoir un rôle officiel, alors que, dans d’autres cas et de façon inattendue, ils mettent en question toute l’organisation israélite. Tous les prophètes n’ont d’ailleurs pas eu la même attitude à l’égard de la tradition, mais tous se sont montrés très libres envers elle. Les messagers de Yahvé entre le VIIIe et le VIe siècle n’ont voulu dépendre que de leur Dieu; aussi, alors qu’ils ne faisaient que rappeler à leurs contemporains des vérités évidentes découlant des relations normales entre Yahvé et Israël, ont-ils profondément choqué leur auditoire. Qu’ils l’aient cherché ou non, les prophètes ont inquiété les autorités, dérangé des habitudes, contesté des situations. Ils ont appelé Israël à ne pas se reposer sur le passé en évoquant sans cesse l’histoire des débuts de l’alliance entre Dieu et son peuple, mais, au contraire, à se préparer à rencontrer Yahvé et à vivre dans l’attente de «son jour» (Am., V; Is., II; Soph., I; Zach., XIV).

Dans le combat contre la tradition ou pour une meilleure compréhension de celle-ci, les «prophètes écrivains» ont rencontré les «faux prophètes» (l’Ancien Testament parle plutôt de «prophètes de mensonges»: I Rois, XXII; Jér., XXIII et XXVIII; Ézéch., XIII; etc.), qu’il n’est pas facile de distinguer des premiers. Les critères proposés (accomplissement des oracles, moralité, isolement, etc.) se sont révélés insuffisants, comme le prouve l’épisode qui a mis aux prises Jérémie avec Hanania (Jér., XXVIII). Le véritable envoyé de Yahvé est sans doute celui qui reste libre à l’égard de l’attrait du pouvoir, du poids des habitudes, de la pression de l’opinion publique pour n’obéir qu’au Dieu d’Israël.

En dépit de la variété de formes et de fonds du message prophétique, quelques lignes de force peuvent être notées: le souci manifeste de la défense du droit en Israël; une réserve certaine à l’égard des pratiques religieuses des contemporains; un intérêt particulier pour l’histoire qui devient, grâce à l’interprétation prophétique, une parole de Dieu; l’attente des interventions divines qui vont bouleverser profondément le sort du peuple de Yahvé...

Les prophètes n’ont pas cherché à préparer la révolution, ils n’ont pas davantage préconisé un spiritualisme libéré de toute forme cultuelle, ils n’ont pas voulu donner une philosophie de l’histoire, ni prédire un avenir lointain; ils se sont adressés à leur peuple pour lui parler, au nom de Yahvé, de son Dieu. Ils ne l’ont pas fait en énumérant les attributs divins, car il leur importait peu de disserter sur la justice ou l’amour ou la sainteté du Dieu d’Israël; ils ont eu pour but essentiel de replacer Israël en présence de Yahvé. Ils sont venus de sa part pour préparer son peuple à sa venue. Au cœur du message prophétique, il y a cette présence de Dieu à l’homme, à Israël et au monde.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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